« L’art doit naître du matériau et la spiritualité doit emprunter le langage du matériau. » – Jean Dubuffet
Le chez soi d’antan
L’idée artistique qui sous-tend les dernières recherches de Noureddine Ouarhim prospecte profondément la convergence entre le subjectif en tant que sensation personnelle et l’objectif ramené à sa dimension de stimulus incontournable, formant ainsi une base édifiante pour une esthétique.
C’est-à-dire, se diriger là où elles prennent racine, trouvant leur point de départ et leur ancrage originel. Tout en tenant compte de la dimension qui leur permet d’exercer une influence sur la mémoire et sur l’âme. En termes concrets, l’artiste se tourne simplement vers la terre crue, la matrice de toute construction et la couveuse des racines de l’être. Il s’agit spécifiquement de la construction du « tigmmi », la maison de la campagne amazighe (ici, Ihahan). Cette habitation destinée, dans sa simplicité et son architecture d’utilité, à traverser tant de siècles, qui peuple les souvenirs d’enfance de l’artiste, qui lui a légué une odeur spécifique, tel un souffle spirituel, qu’il ne cesse de sentir en lui, le poursuivant, lui offrant la capacité de créer, de peindre, à travers une approche artistique nouvelle et innovatrice d’un univers que le fait accéder à la présence éternelle via l’art. Autrement dit, « garder la forme et l’essence divine », comme l’avait dit le poète Charles Baudelaire, de ce qui est objet de forte nostalgie vis-à-vis d’un élément constitutif de l’individu à venir.
La vie dans les murs
En effet, le « tigmmi », cette maison traditionnelle, sculpte la vie en son sein, laissant des traces indélébiles sur ses murs, son plancher, ses dépendances, ses bruits particuliers, et surtout ses silences éloquents. Elle résonne inlassablement dans le temps, portant les vestiges des activités liées à la terre. Un exemple concret est le seuil de ces vieilles maisons, portant un creux raviné au milieu, façonné par les pieds qui l’ont foulé maintes fois jusqu’à le rendre lisse et brillant.
Noureddine Ouarhim s’est engagé à restituer tous ces éléments dans ses tableaux en utilisant les qualités expressives de la terre crue, exploitées pour sa capacité à s’étaler, se disperser et se modeler. En somme, il fait de cette matière un moyen de révéler la vérité sur l’homme qui a vécu dans ces lieux, qui y habite, tout comme on habite un corps propre. Partant de ce constat, l’artiste les confronte au sens du regard, créant ainsi les sentiments recherchés par le biais d’une réception artistique réfléchie.
Afin d’assurer le succès de son entreprise de visiter ce lieu à la symbolique forte, l’artiste puise directement dans la terre crue de sa campagne, faisant de fréquents voyages dans cette seule perspective. Il foule la terre, la contemple, s’en imprègne profondément, puis en emporte une quantité déterminée pour la travailler dans ses tableaux. Ainsi, elle se présente dans toute sa splendeur, d’un brun fort, agréablement texturée, sans aucun encombrement, au point de s’illuminer. On dirait que l’objectif est de refléter sa beauté intrinsèque. Ce n’est pas simplement un emprunt, mais une inspiration pensée délibérément pour créer une œuvre émotionnelle.
Cette justification est encore renforcée par un autre ajout indispensable, incontournable par sa présence. Il s’agit de la chaux, utilisée pour enduire les murs à l’intérieur du « tigmmi », que ce soit les murs du patio ou des chambres. Ce blanc s’accumule en couches au fil des années, à chaque fête, à chaque célébration familiale. Avec le temps, ces strates deviennent le support où les mains ont écrit des destins.
L’artiste en utilise un nombre considérable, les intégrant au brun lumineux initial selon une logique sensible. Liens, mélange, brassage, autant de signifiants qui accentuent d’un degré plus haut la lumière de la terre en dessous ou à côté. Le fait de les utiliser en plusieurs quantités, sous forme de plaquettes intégrées, crée un dialogue mémoriel d’une grande intensité affective.
La nostalgie qui crée
La main de l’artiste, agençant des compositions personnelles dictées par sa vision de la distribution de matériaux, à la fois ancestraux et modernes, inscrit toute son approche dans ce que l’art contemporain a de révélateur quant à l’action de l’homme confronté à une forte nostalgie. Cette nostalgie semble réelle, exprimant une vaste gratitude envers tout ce que le corps et l’esprit ont accumulé, permettant ainsi de revivre une identité propre. C’est cette identité qui pousse l’artiste à proclamer son œuvre devant le monde. Noureddine Ouarhim extrait quelque chose du monde temporel et lui confère une signification, l’élevant à un plan de temporalité transcendante.
Il en résulte une lumière particulière. Les écailles de chaux tracent une ligne au milieu d’un brun qui paraît profondément limpide, parfois incrustées dans une boursouflure de terre crue comme une pincée de clarté captée au vol, ou simplement utilisées telles quelles, créant des formes blanches dans un blanc complet. Ces formes collées, ramassées, alignées, structurées de manière à créer une présence au sein de la présence.
À la manière proustienne
Noureddine Ouarhim possède la particularité de travailler sur les racines des plantes, notamment ces magnifiques rhizomes qu’il étale parfois dans ses nouvelles recherches dans le but d’ancrer l’idée du « tigmmi » comme un concept d’enracinement. Il exprime un attachement profond pour cette notion, établissant des liens étroits et le faisant savoir avec la sensibilité requise.
Dans cette nouvelle expérience artistique, on observe une accumulation d’idées constantes, familières chez l’artiste, réemployées pour exprimer une expérience de vie à la manière proustienne, cherchant un temps perdu. Cela se réalise en s’appuyant sur les effets d’un doux regret pour une existence qui fut et qui persiste à travers l’invocation des couleurs, des odeurs, des sons, des hommes et des réminiscences doucereuses. C’est un appel au bonheur, à l’image des mots d’Alfred de Musset : « Je ne viens point jeter un regret inutile/ Dans l’écho de ces bois témoins de mon bonheur…/ Un souvenir heureux est peut-être sur terre/ Plus vrai que le bonheur. » L’art ici est à l’image de la vie revécue.
Exposition Individuelle Tigmmi – Essaouira


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